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C’est une évidence, la douleur n’est pas à prendre à la légère : motif fréquent de consultation chez le médecin, elle touche de manière chronique trois adultes sur dix en France. Or cette « expérience sensorielle et émotionnelle désagréable » met en jeu tout un panel de neuromédiateurs et de récepteurs dans sa régulation. Il s’avère que des molécules d’origine végétale peuvent se fixer à ces récepteurs, ayant alors un effet antalgique.
Les effets de ces molécules peuvent s’exercer de diverses manières, selon les récepteurs ciblés. Ainsi, la morphine de l’opium agit-elle sur les récepteurs d’opioïdes endogènes que sont par exemple les endorphines et les enképhalines, quand la capsaïcine du piment rouge se fixe sur les récepteurs des endovanilloïdes (par exemple, l’anandamine). L’une et l’autre ont donné naissance à des médicaments antalgiques.
Quant au THC (delta-9-tétrahydrocannabinol) et au CBD (cannabidiol) issus du cannabis, qui font aujourd’hui encore l’objet d’études cliniques, on sait qu’ils se lient à des récepteurs aux endocannabinoïdes. Comment fonctionnent ces récepteurs, et quels sont leurs liens avec le paracétamol ?
Des récepteurs bien identifiés
Le système endocannabinoïde comprend non seulement des neuromédiateurs dits endocannabinoïdes ainsi que divers récepteurs auxquels ils se lient (les uns, CB1, situés surtout dans le système nerveux central ; les autres, CB2 portés plutôt par des cellules du système immunitaire), mais aussi des protéines chargées du transport, de la synthèse et de la dégradation des endocannabinoïdes.
La localisation fine des CB1 et des neuromédiateurs concernés, tant au niveau du cerveau (par exemple dans la substance grise périaqueducale, impliquée notamment dans la douleur) que dans la moelle épinière, atteste que ces molécules jouent un rôle dans la transmission et la régulation du message douloureux.
Qui plus est, les études menées sur l’animal ont montré qu’en utilisant des molécules dont l’effet est identique à celles des endocannabinoïdes (on parle de molécules « agonistes »), ou en inhibant la dégradation de ces derniers, on pouvait obtenir un effet antalgique.
Certes, les données cliniques sont moins concluantes. Mais il n’est pas impossible que l’effet antalgique soit plus ou moins important suivant le contexte douloureux, les critères d’identification des patients potentiellement répondeurs à ces traitements restant à préciser.
Des médicaments à base de THC (comme le dronabinol/Marinol) ou associant THC et CBD (nabiximols/Sativex) sont d’ores et déjà disponibles, dans certaines conditions, pour la prise en charge de douleurs rebelles.
Le paracétamol, un pro-médicament
Le paracétamol est rangé dans la catégorie des médicaments antalgiques depuis de longues décennies : synthétisé en 1878, il a été introduit sur le marché aux États-Unis dès 1955. Ce n’est cependant que récemment que des recherches ont suggéré qu’à l’instar des endocannabinoïdes, son action s’appuie en partie sur la présence des récepteurs CB1.
S’agissant de l’analgésie, le paracétamol est un pro-médicament, c’est-à-dire qu’il ne devient véritablement actif qu’une fois transformé dans notre organisme. Dans le détail, le paracétamol est d’abord transformé dans le foie – ce qui peut conduire à la formation d’un métabolite toxique pour cet organe, en cas de surdosage (absolu, à savoir 8 g par prise et au-delà, ou relatif, en cas d’insuffisance hépatique, de dénutrition, etc.).
Ces réactions chimiques engendrent du para-amiphénol, un composé qui a la capacité de franchir très facilement la barrière hémato-encéphalique, dont le rôle est de protéger le système nerveux central (cerveau et moelle épinière). Une fois dans le cerveau, et plus précisément dans la substance grise périaqueducale, ce dernier composé se transforme en métabolite actif : l’AM404. Ce n’est qu’alors que peut s’exercer son effet antalgique, qui est tributaire de la présence des récepteurs CB1. Soulignons ici que ce métabolite n’a par ailleurs pas d’influence sur la fièvre.
Une structure cérébrale au rôle clé
La substance grise périaqueducale parait essentielle dans l’action antalgique du paracétamol, comme le confirment des études menées par imagerie cérébrale chez le rongeur et chez l’être humain : on constate en effet que son activation et sa connectivité avec d’autres structures cérébrales sont modifiées après administration de paracétamol.
Cette région du cerveau renferme des récepteurs CB1. C’est les en activant – sans doute indirectement – que l’AM404 agirait. Quand on s’oppose à leur activation en utilisant molécules antagonistes des CB1 (qui bloquent les récepteurs), y compris en les injectant directement dans la substance grise périaqueducale, on annule l’effet antidouleur. Il en va de même lorsqu’on agit sur les gènes codant les CB1. Le système endocannabinoïde semble donc bien indispensable à l’action antalgique du paracétamol.
Convergences et divergences
Dans les études menées chez l’animal, une batterie de quatre tests permet classiquement d’établir qu’une substance agit comme un cannabinoïde : on examine dans quelle mesure sont observées analgésie (diminution ou suppression de la sensibilité à la douleur), hypolocomotion, hypothermie et catalepsie (suspension complète des mouvements volontaires). Or d’une part le paracétamol n’induit pas de catalepsie et d’autre part, l’hypothermie qu’il génère ne semble pas impliquer les récepteurs cannabinoïdes.
Comme les cannabinoïdes, le paracétamol aurait peut-être une action sédative. Des études conduites chez des personnes âgées ont en effet noté que la consommation vespérale de paracétamol semblerait favoriser l’endormissement, ce qui n’est pas sans rappeler le côté hypnotique du cannabis et particulièrement du THC sédatif – bien que ce dernier soit réputé perturber la qualité du sommeil, et que les preuves manquent encore quant à son intérêt thérapeutique et au ratio bénéfices/risque. Toutefois, une étude contrôlée menée sur une cinquantaine de personnes âgées n’a pas retrouvé d’action du paracétamol sur différents paramètres du sommeil dont le temps d’endormissement.
Au vu d’autres études réalisées sur l’animal, on suspecte aussi que le paracétamol pourrait avoir un effet anti-épileptique, qui le rapprocherait là encore des cannabinoïdes. À ceci près que si une spécialité à base de CBD a d’ores et déjà reçu un avis favorable de la Haute autorité de santé dans la prise en charge de certaines formes d’épilepsie (en association avec d’autres traitements), les données concernant l’implication des récepteurs dans cet effet du paracétamol CB1 semblent discordantes.
Enfin, notons que le paracétamol parait avoir chez l’animal un effet anxiolytique inhibé par des antagonistes de CB1. Mais il n’induit pas les effets psychotropes recherchés (relaxation, sensation de bien-être, désinhibition, etc.) ou non souhaités (fatigue, diminution des capacités physiques, angoisse, dépendance…) avec le cannabis – bien que de ce point de vue il existe de grandes variations suivant la consommation.
On le voit, si paracétamol et cannabinoïdes partagent diverses propriétés, c’est avant tout l’effet antalgique lié aux récepteurs CB1 qui les rassemble – les autres n’étant pas toujours solidement validées. Sans compter que les douleurs soulagées par ces deux types de substances ne sont pas les mêmes. Ainsi, le paracétamol est recommandé dans le traitement des douleurs nociceptives, tandis que les cannabinoïdes concerneraient plutôt les douleurs neuropathiques. In fine, si le paracétamol possède un effet antalgique de type cannabinoïde et quelques similitudes avec les activateurs de ce système, on ne peut pas réellement considérer qu’il fonctionne comme un cannabinoïde, et donc comme le cannabis médical.